Programme Refresh : le coup de peinture qui fait oublier la lenteur du présent
Le 4 août dernier, Bruxelles Mobilité a lancé une nouvelle phase du programme « Refresh », ce vaste plan destiné à rénover les stations de métro de la capitale. Mais attention : il ne s’agit pas d’une révolution technique ou d’un chantier à la hauteur du Grand Paris. Non : chez nous, on « intervient rapidement », on « rafraîchit » et on « améliore le confort des usagers » sans jamais vraiment toucher à la structure profonde. Un peu de carrelage neuf, des escalators tout propres, du guidage au sol remis au goût du jour pour les malvoyants, des panneaux remplacés et, bien sûr, un bon gros nettoyage de l’œuvre d’art qui fait la fierté de la station — il n’en fallait pas plus pour faire rêver les navetteurs .
À Stockel, terminus de la ligne 1, ce sont les fresques de Tintin qui profitent du décrassage, au grand bonheur des amateurs de BD. Pendant ce temps, les accès sont rénovés pour la première fois depuis… la dernière campagne, on ne sait plus trop quand. Les carrelages sont remplacés par du carrelage, les valves et panneaux d’information par des valves et panneaux… tout pour garder le cachet « moderniste cliniquement propre » cher à nos décideurs urbains .
Rien d’extraordinaire, mais cela a le mérite de ne pas trop perturber les voyageurs : la coupure d’électricité pour nettoyer les bas-reliefs de Tintin est soigneusement programmée pour éviter de gêner. On ne plaisante pas avec “l’expérience utilisateur” ! Les prochaines sur la liste : Maelbeek et Delta, puis peut-être Porte de Namur ou Osseghem, à condition que le calendrier politique ne vienne pas encore tout chambouler .

Métro 3 : la nouvelle ligne qui ne va nulle part (si ce n’est sur les frontons électoraux)
Mais pendant qu’on repeint les murs et qu’on polit les rampes, il existe un chantier dont les Bruxellois aimeraient bien voir le bout : la fameuse Ligne 3. Annoncée comme « la grande révolution de la mobilité », vendue comme “la solution miracle” pour désengorger les artères congestionnées, la nouvelle ligne est aujourd’hui, deux fois hélas, à l’arrêt .
Désastre urbanistique ? Désastre politique ? Désastre financier ? Un peu tout à la fois : la Ligne 3 accumule les retards depuis son lancement en 2020, et le « budget qui a quintuplé » entre 2009 et 2024 a de quoi faire pâlir d’envie nos voisins du Luxembourg — ou alors, pleurer de rage les contribuables bruxellois. On aurait pu croire à une malédiction, mais il s’agit visiblement d’une stratégie : « Pour bien montrer qu’on avance, on s’arrête systématiquement partout où c’est le plus compliqué », ironise un ingénieur du chantier (sous couvert d’anonymat, évidemment) .
Sous le Palais du Midi : le tunnel des Complots
Entre Stalingrad et le Palais du Midi, le chantier prend des allures de film catastrophe et de huis-clos administratif. Les habitants vivent au rythme des pelleteuses, des engins bruyants, et des riverains désespérés : « Le matin, on se fait réveiller par le chantier, le soir, on s’endort avec le chantier. Au début, c’était traumatique, mais à force, on s’habitue… » témoigne Chérine Layachi, une habitante du quartier devenu épicentre des plaintes. Les commerçants, eux, ne voient que la fermeture des voiries et la perte de clientèle .
On pensait avoir tout prévu : études de sol, bâtiments historiques, validation des normes ferroviaires. Las ! Les sous-sols du Palais du Midi, composés de couches marécageuses inexploitables, ont contraint les ingénieurs à revoir tout le projet. Résultat : révisions successives des plans, retards « colossaux », et aucune perspective réaliste de mise en service avant… 2031, dans le meilleur des cas. Ou alors 2035, si l’on écoute Brieuc de Meeûs, CEO de la STIB, qui a appris à manier l’art du calendrier extensible .
Mise à l’arrêt : dossier politique ou mirage administratif ?
Mais alors, pourquoi ce chantier titanesque est-il encore à l’arrêt ? La réponse invite à un petit florilège de la « bruxellitude » politique.
Première raison, et non des moindres : le tunnel du Palais du Midi n’a pas encore reçu l’autorisation d’urbanisme nécessaire pour démarrer la déconstruction. Il faut dire que dans la capitale, obtenir un permis est un sport de combat, surtout lorsqu’on touche aux sites historiques. L’administration jongle avec les rectifications, les avis, les objections et les commissions — chaque étape donne lieu à une réunion, chaque réunion à un contre-rapport, chaque contre-rapport à une conférence de presse, chacun espérant secrètement que tout finisse par se régler… d’ici la prochaine législature .
Côté technique, rien ne va non plus : « On est dans le lit de la Seine, ce sont des éléments que nous connaissions, mais en cours de chantier, d’autres problèmes d’ordre technique et contractuel sont apparus », explique avec le détachement habituel Laurent Borsellini, chef de projet à la STIB . Comprendre : tout ce qui pouvait coincer a fini par coincer. Les plans, les équipements ferroviaires, la signalisation, l’accès aux stations. Sans parler du durcissement des normes de sécurité, qui prennent soudain au sérieux le fait que faire passer un métro sous terre n’est pas exactement un jeu d’enfant.
Ajoutez à cela l’explosion du budget, les financements sans décision officielle, et le débat éternel sur la transparence et les alternatives (le projet « Premetroplus », cher au monde associatif), et vous obtenez un chantier où chaque mètre gagné coûte un an d’attente et quelques millions supplémentaires .

Ironie et espoirs : quand le politique donne du pain et des pierres
Ainsi va Bruxelles : pendant que l’on célèbre en grande pompe la rénovation d’un panneau d’information à Stockel, que l’on se félicite de la « harmonisation stylistique » du hall du métro, la grande ligne qui devait propulser la capitale dans le XXIe siècle reste à l’arrêt, ensevelie sous les rapports, le marasme administratif, les malfaçons et les soucis techniques.
Les politiques bruxellois rivalisent de circonlocutions pour expliquer qu’il « vaut mieux un petit rafraîchissement immédiat qu’un grand projet qui avance », ou que « renouveler les carrelages, c’est investir dans l’avenir ». Ils promettent que « le nouveau métro arrivera vite », mais oublient de préciser que vous avez le temps de refaire votre plafond, d’apprendre trois langues et de revoir toute la filmographie d’Hergé avant de monter dans une rame Nord-Sud flambant neuve…
Au final, chaque campagne électorale charrie sa salve de promesses : le métro 3 sera inauguré… une fois la prochaine coalition réunie, après la réforme du code d’urbanisme, après la nouvelle étude de sol, et surtout, « quand la transparence sera enfin garantie » (sic).
Des usagers qui prennent patience – ou le tram
Les Bruxellois, eux, s’adaptent : tantôt ils s’agglutinent dans les tramways surchargés (quand ils ne sont pas eux-mêmes en travaux ou déviés), tantôt ils contemplent les œuvres d’art nettoyées de leur station. Ils attendent que Maelbeek et Delta profite du programme Refresh… tout en se demandant si au fond, le seul vrai “refresh” dont la ville aurait besoin ne serait pas celui des idées ou des méthodes.
D’ici là, il reste toujours le vélo, la marche, ou le bus temporairement mis en place pour pallier les interruptions de lignes – avec, bien sûr, toutes les déviations, arrêts fantômes et notes explicatives qui parsèment l’itinéraire comme autant d’hommages au surréalisme belge .
Bruxelles, capitale des travaux en cours
Alors : la rénovation du métro bruxellois avance-t-elle vraiment ? On dirait bien que oui… du moins sur la surface, dans les stations où la moquette remplace l’ancien carrelage, où la fresque de Tintin brille un peu plus fort après le grand nettoyage. Mais en profondeur, dans ses lignes structurantes, le métro attend encore son heure (et probablement celle du prochain gouvernement).
En attendant, Bruxelles rafraîchit ce qu’elle peut et préfère que le parfum de la peinture neuve vous fasse oublier l’odeur des chantiers bloqués. Le seul tunnel qui traverse la ville, finalement, c’est celui de la patience des Bruxellois – avec, très loin au bout, une lumière peut-être… un jour.
Mais ce qui met tout le monde d’accord, c’est la lassitude — voire l’agacement croissant — des Bruxellois face à cette valse de rénovations superficielles, clinquantes en surface, pendant que l’essentiel, lui, traîne ou sombre. L’usager moyen, celui qui subit chaque matin les rames bondées, la signalétique hasardeuse et les correspondances interminables, n’est pas dupe. L’impression générale ? Que ce « Refresh » n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois, un cache-misère orchestré pour donner l’illusion d’action alors que le véritable projet d’envergure, la fameuse ligne 3, piétine désespérément.
Un gouffre financier sans fond
C’est peut-être sur le terrain financier que le malaise vire à l’exaspération. Le budget, déjà astronomique au départ, continue de se creuser sans qu’aucune échéance ferme ni aucune résultante concrète ne soit visible pour la population. On évoque désormais un projet ayant plus que quadruplé ses dépenses prévues : de 1,6 milliard au départ, on approche aujourd’hui les 6 ou 7 milliards selon les estimations, et ce n’est pas fini. Rien n’y fait : chaque surprise de chantier, chaque imprévu technique se traduit par quelques millions de plus. Les audits, eux, se multiplient tout autant que les réunions et les commissions, tandis que la communication officielle répète que tout est « sous contrôle » et que « ces ajustements étaient prévisibles pour un projet d’une telle ampleur ».
Les Bruxellois, eux, regardent le compteur s’emballer, parfois en ricanant, souvent en grimaçant, et se demandent combien de générations devront payer la note de ces tunnels à moitié forés, de ces pelleteuses au repos et de ces promesses oubliées dans les cartons de la Région. Au fond, le gouffre financier du métro 3 est à l’image de sa progression : sans fin et sans horizon.
Un fiasco politique annoncé
Plus le temps passe, plus la sensation s’impose que ce projet, conçu comme une démonstration de savoir-faire bruxellois, se transforme en monument à la lenteur, à l’incapacité de choisir et à la dilapidation des ressources collectives. Les partis politiques, quelle que soit leur couleur, préfèrent désormais détourner les yeux, étrangement silencieux dès qu’il s’agit d’assumer les retards, les surcoûts et la colère d’un électorat lassé d’attendre.
À chaque étape, on promet des solutions, des « task forces », de nouvelles études de faisabilité ou de risques ; mais rien ne bouge vraiment. Les explications techniques, si elles sont nécessaires, n’expliquent jamais pourquoi le projet semble s’enliser dans les mêmes travers – et cela pour des décennies.
Derrière ce fiasco structurel, il y a non seulement un échec de gestion, mais aussi un manque de vision et de courage politique. Le métro 3 deviendra-t-il un nouveau « chantier du siècle », symbole du renoncement bruxellois, ou un monument à la complexité administrative ? Les Bruxellois, eux, semblent résignés à n’obtenir qu’un métro repeint, des bancs astiqués et des carrelages flambants neufs en guise de progrès… tandis qu’au sous-sol, la grande révolution des transports attend encore son déclic.
En attendant, la ville continuera de vibrer au rythme des marteaux-piqueurs de surface, des plans de communication bien huilés et du parfum entêtant de la peinture fraîche. Gageons que les générations futures finiront, elles aussi, par trouver dans ce tunnel sans fin une source inépuisable d’humour noir… bruxellois.
Qui va payer la facture ? La grande question sans réponse
Au cœur de l’agacement bruxellois, une inquiétude domine désormais : qui règlera, en fin de compte, la note astronomique de ce chantier sans fond ? Chaque nouvelle rallonge budgétaire ravive chez les citoyens le spectre d’une facture reportée sur les générations futures ou, plus concrètement, sur les contribuables locaux déjà mis à rude épreuve.
Les scénarios se bousculent :
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Les Bruxellois eux-mêmes : L’hypothèse la plus probable reste un recours aux recettes fiscales régionales, avec ce corollaire amer : hausse des impôts, coupes budgétaires dans d’autres services publics, ralentissement des investissements dans la santé, l’éducation ou la transition écologique.
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L’État fédéral ou les fonds européens ? : Certains responsables avancent régulièrement que la Région pourrait réclamer une participation accrue de l’État central ou solliciter des financements européens. Mais ces pistes restent incertaines, soumises à des conditions drastiques et à une compétition féroce avec d’autres grands projets nationaux ou continentaux.
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Les partenaires privés : La tentation du partenariat public-privé (PPP), évoquée pour tenter de boucler le budget, soulève elle aussi de nombreuses interrogations. On le sait, ce type de montage se résume souvent à transférer le risque vers le public, tout en garantissant aux privés des profits à long terme sur l’exploitation du réseau. En clair : la note risque d’être payée deux fois, d’abord par le public, ensuite par les usagers au fil des décennies via des tarifs en hausse.
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Des arbitrages douloureux : Enfin, le pire scénario traîne comme une menace discrète : l’abandon pur et simple de certaines parties du projet, ce qui signifierait des millions déjà investis perdus, et le devoir d’accélérer d’autres formes de mobilité (prémétro, tram, bus), elles aussi coûteuses. Quelle que soit l’option retenue, il semble inévitable que « payer pour le métro », sous sa forme actuelle, engagera la Région sur des décennies.
La question « qui va payer » n’a donc aujourd’hui aucune réponse claire. Ce qui est certain, c’est que ce métro 3 risque de devenir l’exemple parfait d’un projet où la responsabilité financière se dilue dans les couloirs de l’administration… jusqu’à ce que la facture arrive, tôt ou tard, sur le pas de la porte des Bruxellois.
Et pendant que Bruxelles attend son miracle, la grande bascule entre espoir et résignation continue… sous le regard attentif de ceux qui devront, un jour, signer le chèque.

Alice Vandendorpe est une rédactrice chevronnée avec plus de 10 ans d’expérience dans le journalisme. Elle excelle dans la création de contenus captivants et informatifs, et dirige notre équipe avec passion et dévouement.


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