L’organisation patronale Beci et les fédérations sectorielles tirent la sonnette d’alarme après une nouvelle rupture des négociations pour former un gouvernement bruxellois. Pendant que les entreprises s’arrachent les cheveux, certains partis semblent avoir trouvé dans le blocage une stratégie électorale des plus raffinées. Bienvenue dans le théâtre politique bruxellois, où l’intérêt général fait les frais des petits arrangements entre amis.
Le grand spectacle du « pas sans mon copain »
Le CD&V, ce parti qui a trouvé dans l’art du blocage une nouvelle raison d’exister. Car voyez-vous, chers lecteurs, il ne s’agit plus de gouverner Bruxelles, mais de sauver les meubles face à l’électorat flamand. La stratégie est d’une simplicité désarmante : « Pas de gouvernement sans la N-VA ! »
Cette position de principe, qui ressemble étrangement à celle d’un enfant qui refuse de jouer si son meilleur ami n’est pas invité à la fête, cache en réalité un calcul politique des plus cyniques. En se présentant comme les gardiens de l’unité flamande et de la droite, les dirigeants du CD&V espèrent éviter l’accusation fatale de « collaboration avec la gauche » qui leur pendrait au nez s’ils acceptaient de former un gouvernement sans leurs partenaires traditionnels. Un peu comme ils ont fait dans le gouvernement fédéral précédent.
L’excuse parfaite pour ne pas gouverner
Car gouverner, c’est risqué. C’est prendre des décisions impopulaires, c’est assumer des choix difficiles, c’est parfois décevoir son électorat. Alors pourquoi se donner cette peine quand on peut jouer les martyrs de la cause flamande ? Le CD&V a trouvé la solution miracle : se poser en victime du « diktat francophone » tout en sabotant discrètement toute possibilité d’accord.
« Nous ne pouvons pas gouverner sans nos partenaires naturels », expliquent-ils avec le sérieux d’un notaire lisant un testament. Traduction libre : « Nous préférons laisser Bruxelles dans le chaos plutôt que de risquer de perdre trois voix aux prochaines élections. »
Cette stratégie du « tous ensemble ou personne » aurait pu être touchante si elle ne condamnait pas 1,2 million de Bruxellois à subir les conséquences de ces petits arrangements entre partis.
Pendant ce temps, les patrons découvrent la politique
L’organisation patronale Beci et les fédérations sectorielles, habituées au pragmatisme du monde des affaires, semblent découvrir avec stupéfaction que la politique obéit à d’autres règles que la rentabilité et l’efficacité. Leur « déclaration d’état d’urgence » résonne comme le cri d’incompréhension de gens qui pensaient naïvement que gouverner, c’était… gouverner.
« Nous assistons à un véritable tsunami politique qui menace de balayer l’économie bruxelloise », déclarent-ils, visiblement surpris de constater que certains politiciens préfèrent préserver leur petit confort électoral plutôt que de s’attaquer aux vrais problèmes de la région.
Cette union sacrée du patronat bruxellois, qui dépasse pour une fois les clivages sectoriels, témoigne d’une exaspération légitime. Mais elle révèle aussi une certaine candeur : comment ont-ils pu croire que les intérêts économiques de Bruxelles pèseraient plus lourd que les calculs politiciens de partis en quête de survie ?
Les Bruxellois, otages consentants ?
Car au final, qui paie l’addition de cette comédie politique ? Les Bruxellois, bien sûr, ces électeurs qui ont la fâcheuse habitude de croire que voter sert à quelque chose. Ils découvrent avec amertume que leur région peut être paralysée par les états d’âme d’un parti qui représente à peine quelques pourcents de l’électorat local.
Le CD&V, parti jadis respectable, s’est transformé en spécialiste du chantage institutionnel. Leur message est clair : « Si nous ne pouvons pas gouverner avec nos amis, alors personne ne gouvernera. » Une logique imparable qui rappelle ces enfants qui cassent leurs jouets pour être sûrs que personne d’autre ne pourra jouer avec.
La N-VA, absent présent du théâtre bruxellois
Il faut reconnaître à la N-VA une certaine habileté : sans même participer aux négociations, elle parvient à les influencer. Tel un parrain de la mafia politique, elle n’a même pas besoin d’être présente pour que sa volonté soit respectée. Le CD&V joue les intermédiaires zélés, transformant chaque négociation en plaidoyer pour le retour du grand frère nationaliste.
Cette stratégie permet à la N-VA de garder les mains propres tout en sabotant efficacement la formation d’un gouvernement bruxellois. Pourquoi se salir quand on a des alliés prêts à faire le sale boulot ?
Les vraies conséquences du grand n’importe quoi
Pendant que nos stratèges en herbe peaufinent leurs petites combinaisons, l’économie bruxelloise trinque. Les investisseurs internationaux, peu familiers des subtilités de la politique belge, se demandent s’il est bien raisonnable de miser sur une région incapable de se doter d’un gouvernement stable.
Les projets d’envergure restent en suspens, les réformes nécessaires sont reportées, et les entreprises commencent à regarder ailleurs. Mais qu’importe ! L’essentiel est que le CD&V puisse se présenter aux prochaines élections comme le parti qui « n’a pas trahi les Flamands ».
L’art de transformer l’échec en victoire
Car c’est bien là tout le génie de cette stratégie : transformer l’incapacité à gouverner en preuve de fidélité à ses valeurs. Le CD&V ne bloque pas les négociations, oh non ! Il « défend les intérêts de la communauté flamande ». Il ne fait pas du chantage, il « pose des conditions légitimes ». Il ne prend pas les Bruxellois en otage, il « reste cohérent avec ses engagements ».
Cette novlangue politique permettra sans doute à quelques dirigeants de sauver leur poste, mais elle laissera Bruxelles dans l’impasse. Car au-delà des beaux discours sur la défense des intérêts communautaires, il s’agit surtout de petits intérêts personnels et partisans qui priment sur l’intérêt général.
L’addition salée pour tous
Pendant que les stratèges du CD&V savourent leur coup tactique, les factures s’accumulent. Fuite des entreprises, reports d’investissements, dégradation de l’image internationale de Bruxelles : les conséquences de cette paralysie se chiffrent déjà en millions d’euros.
Mais après tout, qu’est-ce que quelques millions d’euros de dégâts collatéraux face à la préservation d’un siège de député ou d’un poste ministériel ? Les priorités sont claires : d’abord sauver sa peau politique, ensuite on verra bien pour le reste.
Le réveil sera douloureux
Cette crise révèle surtout l’immaturité d’une classe politique qui préfère les postures aux propositions, les calculs électoraux aux solutions concrètes. Le CD&V, en particulier, s’enferre dans une stratégie du pire qui finira par se retourner contre lui.
Car les électeurs, même les plus patients, finiront par comprendre que derrière les grands discours sur la défense des intérêts flamands se cache surtout la défense d’intérêts beaucoup plus personnels. Et ce jour-là, l’addition politique sera aussi salée que l’addition économique que paie déjà Bruxelles.
En attendant, la capitale continue de tourner au ralenti, otage des ambitions contrariées de quelques politiciens en mal de reconnaissance. Un spectacle désolant qui donne raison à tous ceux qui pensent que la politique, c’est l’art de compliquer ce qui pourrait être simple.
Pendant que nos héros politiques peaufinent leurs stratégies, Bruxelles attend. Et elle risque d’attendre encore longtemps si personne n’a le courage de dire stop à cette mascarade.
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