Depuis l’été 2024, Bruxelles s’enfonce dans une crise sécuritaire sans précédent. La capitale belge, longtemps berceau du cosmopolitisme européen, multiplie les fusillades, les règlements de comptes et les morts liées au narcotrafic. Au fil des mois, l’angoisse s’est installée, nourrie par l’absence d’un gouvernement régional concret et l’inefficacité des politiques publiques. Des quartiers comme Molenbeek, Anderlecht ou Schaerbeek sont devenus le théâtre d’une guerre de territoire, où le trafic de drogue attise la violence et met à mal le sentiment de sécurité et de cohésion sociale.
Dans cet article, nous proposons une analyse exhaustive de la situation politique et sécuritaire bruxelloise : pourquoi cette crise éclate ? Quelles sont ses causes ? La zone de police est-elle suffisante ? Les réformes promises vont-elles renforcer les moyens de lutte ? Quel est le bilan humain de cette flambée de violence ? Plongée dans un an de tensions, d’atermoiements et de négociations infructueuses.
Historique de la crise (été 2024 – été 2025)
L’été 2024 avait déjà annoncé les prémices. En 2024, pas moins de 92 fusillades liées au narcotrafic sont recensées à Bruxelles, faisant 9 morts et 48 blessés, selon la police fédérale. Au printemps, la tension monte lors des affrontements des 4 et 5 mai 2025 à Bruxelles : 80 personnes blessées lors d’émeutes et d’une fusillade à la gare du Midi, mêlant enjeux politiques (manifestation pro-palestinienne) et rivalités sur le territoire urbain.
Mais c’est l’été 2025 qui marque une rupture avec le passé. En à peine deux semaines d’août, Bruxelles dénombre au moins 11 fusillades, dont deux mortelles. Depuis juillet, ce sont 20 fusillades qui secouent la capitale ; on compte au moins deux décès et plusieurs blessés. Les quartiers les plus touchés sont Anderlecht, Molenbeek-Saint-Jean et Schaerbeek, points chauds pour le trafic de stupéfiants et les guerres de bandes.
Pourquoi la situation dégénère-t-elle ?
Plusieurs facteurs convergent :
1. Explosion du narcotrafic
La région bruxelloise subit une forte pression structurelle : Bruxelles est un carrefour logistique, une porte d’entrée sur l’Europe et une plaque tournante pour le trafic de drogue, notamment via le port d’Anvers. Les organisations criminelles bénéficient d’un afflux de capitaux, investissent dans des armes de guerre et recrutent dans les quartiers populaires où règnent précarité et chômage.
L’extrême rentabilité du trafic permet l’achat d’armes et l’embauche de tueurs à gages, alimentant une guerre de territoires entre groupes rivaux, souvent issus de la criminalité organisée internationale (Maghreb, Balkans, milieux belges).
2. Réponse inadaptée du système judiciaire et policier
La justice belge, sous-dotée et sous pression, peine à réprimer le narcotrafic. Le nombre d’enquêteurs spécialisés reste limité, le ministère public croule sous les dossiers, et de nombreux chefs de réseaux continuent de piloter leurs opérations depuis leur cellule – la politique carcérale n’ayant pas su isoler efficacement les têtes de réseaux.
3. Paralysie politique et manque de gouvernance
Depuis les élections régionales, Bruxelles vit sans nouveau gouvernement régional. Les négociations sont bloquées, aucune coalition n’a pu émerger, ce qui ralentit les réformes et déresponsabilise le pouvoir politique. Dans ce contexte, la lutte contre la criminalité devient un terrain d’affrontement partisan et l’État reste impuissant à coordonner ses actions.
4. Facteurs sociaux et territoriaux
Les quartiers touchés par la violence et la drogue sont aussi les plus fragiles socialement : précarité, déscolarisation, chômage, marginalisation, manque de service public. La perte de repères contribue à l’attraction des jeunes par l’économie parallèle et les trafics.
Bilan humain : morts et blessés
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Étés 2024-2025 : Au moins 20 fusillades depuis juillet 2025, dont deux mortelles à Anderlecht et Molenbeek ces dernières semaines. Plusieurs blessés graves sont à déplorer, dont un adolescent tué à Molenbeek et un autre grièvement blessé à Anderlecht.
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2024 : 92 fusillades liées au narcotrafic recensées à Bruxelles, 9 morts et 48 blessés.
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4-5 mai 2025 : 80 blessés lors d’affrontements urbains mêlant rivalité politique et criminalité, dont quatre policiers hospitalisés.
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Les fusillades touchent particulièrement jeunes hommes issus de quartiers populaires, mais aussi parfois des passants et commerçants.
Causes : guerre de territoires et narcotrafic
La cause première des fusillades est, selon le parquet, la guerre de territoire entre différents groupes narcotrafiquants à Bruxelles. Les groupes se disputent des « hotspots » identifiés : points de vente, rues fréquentées, abords de stations de métro. Les affrontements armés sont souvent des représailles, des opérations d’intimidation ou des actes de dissuasion contre des concurrents.
La dynamique s’est renforcée en 2025 à cause de l’effondrement de plusieurs réseaux concurrents et du « changement de paradigme » au sein du narcotrafic : les intégrations de groupes balkaniques, maghrébins, belges, et l’internationalisation des flux logistiques.
Quelle réponse policière ? La fusion des zones et ses limites
Bruxelles compte plusieurs zones de police locales, historiquement fragmentées selon les communes. Les zones ne coordonnent pas toujours leurs actions ; la superposition des responsabilités entrave la rapidité d’intervention. Face à la crise, le futur gouvernement fédéral prévoit la création d’une « super zone de police » pour Bruxelles, censée accroître l’efficacité grâce à la mutualisation des moyens, un meilleur partage du renseignement et une stratégie commune contre le narcotrafic et le radicalisme.
La fusion, déjà mise en œuvre ailleurs en Belgique, vise à faciliter le déploiement du plan canal fédéral renforcé : opérationnel depuis 2015, ce plan concentre les forces fédérales sur les quartiers les plus à risque (Molenbeek, Anderlecht, canal, gare du Midi), et permet des interventions concertées contre criminalité, radicalisme et économie souterraine.
Cependant, la fusion est mal vue par certains bourgmestres, qui craignent une perte de contrôle local et dénoncent l’opacité de la chaîne décisionnelle. L’efficacité d’une seule grande zone dépendra, in fine, de la capacité politique à fournir suffisamment de moyens humains et financiers.
Bonne idée ? L’avenir nous le dira…
La question des moyens : hommes et budgets
Le manque de personnel est particulièrement criant. Les syndicats de police signalent une pénurie chronique ; les effectifs sont insuffisants pour assurer la présence, l’enquête, la prévention et l’intervention. Les agents sont épuisés, parfois démotivés par le manque de reconnaissance publique et politique.
Le budget alloué à la lutte contre la drogue et la criminalité reste limité face à l’ampleur du problème : la justice demande régulièrement des moyens pour renforcer enquêteurs, magistrats et spécialistes, tandis que les fonds pour les politiques sociales et préventives (travailleurs sociaux, éducateurs de rue, associations) sont également en dessous des besoins réels.
Le nouvel accord du gouvernement vise à faciliter l’accès aux budgets pour les zones fusionnées, en optimisant les dépenses et en concentrant l’effort sur les quartiers chauds. Les fonds issus de la confiscation des biens criminels (40 millions d’euros en 2022 sur des affaires liées à la drogue) doivent permettre d’investir dans le matériel, la formation et le soutien aux quartiers vulnérables.
Les politiques de sécurité : historique et défis
La gestion des crises en matière de sécurité à Bruxelles n’est pas nouvelle. Au fil des décennies, la Belgique a connu des moments marquants : folie des Tueurs du Brabant dans les années 1980, drame du Heysel, attentats, poussées de violence urbaine.
Depuis 1992, les politiques urbaines de sécurité et de prévention se sont progressivement renforcées par la création de contrats de sécurité, de plans régionaux et d’une coordination accrue entre l’État, la Région et les Communes. Le Plan régional de sécurité vise à associer prévention sociale, accompagnement et résilience, coordonnés par le Ministre-Président.
En 2024, Bruxelles met en œuvre une stratégie régionale de lutte contre le trafic de drogues : conseil régional de sécurité, réunions de crise, état des lieux régulier et extension des actions « safe.brussels ».
Où en est-on ? Réponses publiques et privées
Le dernier point d’étape a eu lieu le 11 février 2025 ; le ministre-président Rudi Vervoort, le procureur du roi, les bourgmestres des communes et les chefs de police se sont réunis pour coordonner une stratégie anti-stupéfiants. Dix-sept hotspots prioritaires ont été identifiés, avec un focus sur la lutte contre le narcotrafic, le renforcement des patrouilles et l’usage accru des moyens numériques (vidéosurveillance, bases de données partagées).
Mais la réponse ne se limite pas à la police : les intervenants sociaux, les éducateurs, les maisons de quartier sont mobilisés pour reprendre le terrain, restaurer le tissu social, proposer des alternatives à l’économie criminelle.
La justice, pour sa part, revendique plus de moyens afin de garantir l’arrêt des chefs de réseau – en investissant dans les cellules d’enquête et en isolant les leaders en prison. La confiscation des biens criminels est désormais une priorité, pour financer la sécurité et améliorer les quartiers difficiles.
Perspectives
La crise à Bruxelles ne cessera pas sans une mobilisation globale :
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Un gouvernement régional stable, capable de coordonner les réponses,
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Des budgets massivement augmentés pour police, justice et prévention,
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Une fusion effective des zones de police avec une mutualisation réelle des effectifs,
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Des programmes sociaux d’envergure pour offrir des alternatives aux jeunes tentés par le trafic,
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Des politiques carcérales adaptées, capables d’isoler les chefs de réseaux,
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Un partage européen des données et des moyens, vu le caractère international des trafics.
Pour l’heure, l’été 2025 reste marqué par une recrudescence inédite des fusillades (au moins 20), 2 morts, de nombreux blessés, des quartiers sous tension et une incapacité des autorités à rassurer la population – preuve que la sécurité doit redevenir la priorité, non des discours, mais de l’action.
Bruxelles, capitale de l’Europe, doit demain redevenir capitale de la sécurité par sa capacité d’innovation, de résilience et de coordination.
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