La fusion des polices à Bruxelles : histoire, enjeux, comparaisons et perspectives

17 Août 2025 | Politique

police bruxelles
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À l’été 2025, la fusion des zones de police à Bruxelles polarise le débat politique et social. Pendant que les fusillades liées au narcotrafic font la une, le gouvernement fédéral tranche : six zones de police vont devenir une « super zone » et l’histoire des polices belges—gendarmerie, police judiciaire, police communale—trouve un nouveau chapitre. Pour comprendre cette réforme majeure, il faut remonter à l’époque antérieure à la fusion, explorer les modèles européens, décrypter les arguments des partisans et des opposants, et s’interroger sur la nécessité du changement.

Avant la fusion : le système ancien et ses failles

1. Trois corps, des logiques opposées

Avant 2001, la Belgique comptait trois grands corps autonomes :

  • La gendarmerie nationale : force militarisée, placée sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et de la Défense, chargée du maintien de l’ordre et des missions répressives nationales.

  • La police judiciaire auprès des parquets : chargée d’investiguer les crimes et délits, sous l’autorité des procureurs.

  • La police communale : placée sous l’autorité des bourgmestres, chargée du maintien de l’ordre local et de la police administrative dans chaque commune (19 à Bruxelles).

Aux grandes crises nationales (Dutroux, Tueurs du Brabant), la coopération apparaissait défaillante : rivalités, cloisonnement des infos, absence de chaîne coordonnée, dispersion territoriale. En réaction aux « dysfonctionnements », le gouvernement met en place une réforme structurelle : une police « intégrée » à deux niveaux, fédéral et local, avec création de zones d’action.

La fusion des polices belges : réforme post-Dutroux

La fusion est instaurée le 1er janvier 2001. Les objectifs :

  • Mutualiser les moyens et l’info

  • Garantir la chaîne pénale

  • Mieux coordonner la gestion des crises

À Bruxelles, 6 zones de police sont créées, chacune couvrant plusieurs communes. Mais l’identité communale reste forte, les bourgmestres gardent le lead sur la police locale. Rapidement, des failles apparaissent : la coordination entre zones demeure complexe, la dispersion de moyens freine les actions d’envergure sur la criminalité organisée et le narcotrafic. Le débat sur une super-zone refait surface dès les années 2010.

Plusieurs bourgmestres de Bruxelles sont particulièrement attachés à leur police locale et affichent clairement leur opposition à la fusion des zones de police. Les noms qui ressortent le plus souvent sont :

  • Olivier Maingain (ex-DéFI, Woluwe-Saint-Lambert)
    Maingain s’oppose publiquement à la fusion, défendant le travail de proximité. Il estime qu’une super-zone éloignerait la police des réalités du terrain et dégraderait la confiance des citoyens, notamment par une gestion moins personnalisée des quartiers. Il réclame au contraire des moyens supplémentaires pour le fédéral et des unités spécialisées pour lutter contre la grande criminalité, sans toucher à l’autonomie locale.

  • Philippe Close (PS, Ville de Bruxelles)
    Close insiste sur la connaissance fine du terrain que possède la police locale et sur son rôle social auprès des citoyens. Il considère l’agent de quartier comme un assistant social de première ligne capable de remonter les informations et d’assurer la sécurité au plus près des habitants. Fermer ce canal serait, selon lui, une perte majeure pour la ville.

  • Vincent De Wolf (MR, Etterbeek)
    De Wolf considère que les six zones de police bruxelloises ont déjà atteint la « taille optimale » pour assurer les missions fondamentales. Selon lui, la fusion serait une réponse simpliste à des défis complexes. Il défend l’organisation actuelle comme efficace et adaptée à la diversité des quartiers bruxellois. Maintenant que le MR est a la manoeuvre, il change un peu d’avis, mais on sent bien que c’est contrait et forcé.

  • Benoît Cerexhe (Les Engagés, Woluwe-Saint-Pierre)
    Cerexhe fustige une réforme imposée sans réel débat, motivée selon lui par des exigences partisanes. Il estime que la sécurité locale ne serait pas améliorée par une fusion et qu’un sous-financement chronique doit d’abord être corrigé avant toute réorganisation structurelle.

  • Jean Spinette (PS, Saint-Gilles)
    Spinette dénonce une réforme qu’il considère comme discriminatoire et imposée par le pouvoir fédéral, sans concertation adéquate. Il promet de défendre les spécificités locales et d’utiliser les recours juridiques si la fusion est imposée.

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Pourquoi tiennent-ils à leur police locale ?

  1. Proximité et efficacité : Les bourgmestres estiment qu’une police communale est plus efficace pour répondre rapidement aux attentes des citoyens, adapter les interventions aux besoins spécifiques de chaque quartier, et préserver le lien de confiance.

  2. Connaissance du terrain : Les agents locaux connaissent les acteurs, les lieux, les familles et les problématiques propres à leur commune, ce qui facilite la prévention et la résolution des conflits.

  3. Rôle social : La police de proximité joue aussi un rôle social, parfois d’assistant social ou de médiateur, difficile à garantir dans une structure trop centralisée.

  4. Contrôle politique local : Pour les édiles, garder la main sur l’organisation policière est aussi un enjeu de gouvernance et d’influence, permettant de fixer les priorités de sécurité selon les besoins du territoire et la volonté politique locale.

  5. Résultats concrets : Ils mettent en avant les synergies existantes entre les zones (manifestations, sécurité urbaine, dossiers criminels comme Sky ECC) et l’efficacité, malgré le sous-financement.

En résumé, ces bourgmestres défendent la police locale pour préserver une action sur mesure, proche des citoyens, et refusent une fusion qu’ils jugent bureaucratique, éloignée des réalités et imposée par le haut, sans garantie d’efficacité accrue.

 

Anvers : le modèle belge de la fusion totale

À Anvers, toutes les forces de police ont fusionné il y a plusieurs années (zone unifiée). Les avantages constatés :

  • Commandement unique pour une métropole

  • Coopération renforcée avec la police judiciaire

  • Rapidité d’intervention, plus grande flexibilité

  • Économies d’échelle sur matériel et personnel
    L’approche anversoise est souvent citée en exemple pour la lutte anti-narcotrafic et la gestion des crises majeures.

Cependant, la fusion s’est accompagnée d’une rationalisation, parfois vécue comme une perte d’identification de la police de proximité : distance avec les citoyens, question du maintien de l’ancrage local. Le modèle n’est pas sans critiques et exige une gestion fine des équipements et des affectations territoriales.

Il est faux de croire que la fusion des forces de police à Anvers suffit à faire baisser la criminalité. Les statistiques de 2025 montrent que, bien qu’Anvers dispose d’une zone de police unique et d’un commandement centralisé, son indice de criminalité reste relativement proche de celui de Bruxelles.

  • En 2025, Anvers affiche un indice de criminalité à 39,8 alors que Bruxelles est à 55,0. Cette différence existe, mais Anvers ne se situe pas parmi les villes les plus sûres d’Europe, et connaît elle aussi une forte pression liée au narcotrafic et à la violence des gangs.

  • Les villes belges les mieux classées en sécurité sont Gand et Louvain, qui disposent également de modèles fusionnés mais de réalités urbaines et sociales différentes. Cela montre que l’organisation policière n’est pas le seul facteur déterminant.

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Des rapports soulignent que la criminalité organisée et les violences liées aux stupéfiants restent élevées dans les ports belges, notamment à Anvers, où la police fusionnée doit gérer des réseaux internationaux complexes. Les résultats du modèle fusionné dépendent donc aussi de la politique pénale, de la coopération européenne, des moyens alloués et du contexte social.

En résumé, fusionner les zones de police ne garantit pas automatiquement une réduction forte de la criminalité : l’efficacité dépend de multiples facteurs, dont les ressources, la prévention, la justice, et le contexte urbain.

Bruxelles : les arguments pour et contre

Les partisans de la fusion

  • Partis néerlandophones (N-VA, Vooruit, CD&V) : réclament une zone unique depuis des années pour gagner en efficacité, en cohérence et en rapidité. Pour ces partis, il s’agit d’aligner Bruxelles sur les standards européens et d’appliquer le modèle Anvers avec commandement unique, meilleure coordination, lutte accrue contre la criminalité organisée.

  • Gouvernement fédéral (MR, Les Engagés) : voit la fusion comme un gage d’efficacité, la possibilité de mutualiser un budget plus important (plus de 55 millions d’euros sur cinq ans) et d’offrir 6,500 policiers opérationnels. La vision : moins d’administration, plus d’action.

Les opposants

  • DéFI, PS, anciens bourgmestres : dénoncent une réforme « imposée de force », une perte de proximité et un risque de chaos opérationnel (« machine administrative laborieuse »). Ils craignent la dilution du savoir-faire local, la perte de contrôle et de réponses adaptées aux besoins des citoyens. Ils déplorent le manque d’effectifs et la non-révision des normes « KUL » qui déterminent le nombre d’agents par ville. Pour eux, la proximité est la clé de la sécurité urbaine et la fusion s’attaque à ce lien sans le renforcer.

Paris : la police nationale centralisée

À Paris, la Police nationale exerce la totalité des fonctions (ordre public, police judiciaire), sous l’autorité du Préfet de police. L’approche est hyper-centralisée, avec des commissariats de secteurs mais un commandement unique depuis la place Beauvau. La proximité, elle, est assurée par des brigades locales, mais la sécurité relève du pouvoir national.

L’efficacité s’avère réelle en matière de gestion de crise (attentat, émeute), mais la distance du cœur décisionnel (vers le ministère) est parfois critiquée pour le manque de souplesse face aux besoins spécifiques des quartiers populaires. L’ancrage local reste perfectible malgré les efforts des commissariats de quartier.

Berlin : la Polizeipräsidium Berliner Polizei

Berlin fonctionne avec une police unifiée pour la ville, le Berliner Polizeipräsidium, sous l’autorité d’un chef de police nommé au niveau régional. La cité-État gère la totalité des forces avec des « Dienststellen » réparties dans les différents quartiers. Coordination, partage de données et mobilité des équipes sont facilités. La capitale allemande est souvent citée pour sa capacité à coordonner rapidement les interventions, mais reste confrontée à des défis sur la taille de la ville, la diversité des quartiers et la prégnance du radicalisme.

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L’ancrage local est davantage respecté grâce à des divisions territoriales, mais la centralisation assure une vision globale pour toute la ville.

Danemark : fusion nationale des polices

Le Danemark a fusionné ses polices locales et nationales en un corps unique (Politi) dès 2007. La police danoise est divisée en 12 districts, commandés chacun par un chef de district mais sous l’autorité du ministère de la justice. Les avantages :

  • Économies d’échelle

  • Meilleure gestion des données

  • Mobilité accrue des agents
    Mais la fusion a entraîné une critique de la perte de proximité et d’une bureaucratisation accrue, pointée du doigt lors de débats sur la prévention dans les quartiers sensibles et la gestion des manifestations.

Depuis quand débat-on de la réforme ? Pourquoi le changement ?

La question de la fusion des zones de police à Bruxelles s’impose depuis la réforme de 2001, mais ressurgit cycliquement, à chaque crise majeure (narcotrafic, émeutes, attentat). Les affaires Dutroux et autres dysfonctionnements judiciaires des années 90 ont largement motivé le passage au modèle intégré.

Depuis 2015, la multiplication des affaires impliquant la coordination entre zones (attentats, grandes manifestations, guerre de gangs) a conforté l’idée que seule une entité unique permet une vision stratégique cohérente et des réactions rapides.

La recrudescence des violences à l’été 2025 a accéléré le débat : la fragmentation du commandement entrave la capacité à mobiliser rapidement des moyens, à produire des stratégies de renseignement unifiées, à lutter contre le narcotrafic international.

Faut-il changer ? Les réponses du terrain et des experts

Les avis sont divisés :

  • Avantages attendu : commandement unifié, budget mutualisé, meilleure répartition des effectifs, facilitation des enquêtes intercommunales et meilleure réponse aux crises. L’unification est vue comme une condition pour passer à l’étape supérieure en matière de sécurité.

  • **Risques soulignés **: dilution de la police de proximité, bureaucratisation, homogénéisation des réponses (qui pourraient s’avérer inadaptées à la diversité des quartiers bruxellois), perte d’ancrage local du policier et de la consultation des maires.

Les experts consultés insistent sur le fait que la réussite dépendra des modalités :

  • Maintien de commissariats locaux et de « quartiers » actifs ;

  • Dialogue continu avec les élus locaux et les citoyens ;

  • Politique d’effectifs forte (respect des promesses de recrutement) ;

  • Budgets réévalués régulièrement, avec clause de rendez-vous.

Et du coup encore un compromis à la Belge ?

La fusion de la police à Bruxelles est une réforme majeure, accélérée par la crise sécuritaire, validée par le gouvernement fédéral et inspirée des modèles européens. Si la centralisation promet davantage de coordination et d’efficacité, les risques sont réels : perte de proximité, montée de la lourdeur administrative, et méfiance citoyenne vis-à-vis d’une police perçue comme lointaine.

Pour réussir, la future super-zone devra conjuguer commandement fort, ancrage local, budgets réels et stratégie adaptée à la diversité urbaine de Bruxelles.

Le débat n’est pas nouveau, mais il est plus pressant que jamais : la sécurité de la capitale belge exige de dépasser le statu quo, sans renier les acquis du modèle communal et en s’inspirant de ce qui fonctionne ailleurs, pour protéger la population face à des menaces d’un nouveau genre. Le consensus politique, la mobilisation des moyens et l’expérimentation des modèles européens seront les clés d’un changement réussi—et attendu par tous.

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